Mohamed El Bouhmadi : «Il faut encourager les études cliniques afin de favoriser l’accès rapide aux nouvelles thérapies…»

Etudes cliniques, propriétés intellectuelles des médicaments, souveraineté sanitaire, couverture sanitaire universelle, prix des médicaments… Mohamed El Bouhmadi décrypte l’actualité du secteur de l’industrie pharmaceutique nationale. 

Challenge : La FMIIP (Fédération marocaine de l’industrie et de l’innovation pharmaceutiques, ndlr) vient d’organiser tour à tour deux symposiums, l’un autour du thème «les études cliniques» et l’autre sur «les propriétés intellectuelles des médicaments». Pourquoi ces deux thèmes et quel intérêt pour l’actualité présente dans l’esprit de tous en ce moment, à savoir la souveraineté sanitaire et le chantier de la couverture sanitaire universelle ?

Mohamed El Bouhmadi : Justement, ces deux thèmes sont d’une importance cruciale pour notre pays ; ils permettent de renforcer l’alignement des membres de la FMIIP (le plus gros groupement des industriels pharmaceutiques) à la vision royale pour l’atteinte de la souveraineté sanitaire et l’achèvement et la réussite de la couverture sanitaire universelle (CSU). En effet, le symposium sur les études cliniques (le troisième que la FMIIP organise) reconfirme le grand intérêt que ses membres portent à ce domaine, aussi bien pour des considérations socioéconomiques que pour l’importance du volet médical et pharmaceutique du médicament, qu’il soit d’innovation ou générique, et ce, tout au long de son utilisation par le patient. Les opérateurs de l’industrie pharmaceutique marocaine estiment que tous les ingrédients sont réunis pour faire du Maroc une plateforme de recherche clinique : renforcement des centres de Bioéquivalence, création de nouvelles CRO et réalisation de plus d’études cliniques en vue de favoriser l’accès rapide aux médicaments et Dispositifs Médicaux innovants, et renforcer ainsi notre souveraineté thérapeutique et médicamenteuse.

Si la bonne volonté de l’industrie nationale à être un acteur clé de la souveraineté sanitaire du Royaume n’est plus à prouver, il n’en demeure pas moins que cette volonté doit être accompagnée d’un soutien politique de l’État qui détient le pouvoir sur les aspects réglementaires affectant le secteur, que ce soit au niveau administratif ou législatif. L’expérience de l’Inde, du Brésil, de la Thaïlande et plus récemment du Bangladesh a démontré que quand les politiques de santé publique, industrielles et commerciales sont coordonnées et mises en cohérence, cela permet de porter le secteur à un niveau qui, non seulement garantit au pays une certaine autonomie pour répondre aux besoins de santé locaux, mais également à en faire un secteur économique performant aussi bien au niveau national qu’international.

Parmi les aspects réglementaires qui régissent le secteur, la question de la propriété intellectuelle (et la façon de la gérer au niveau national) joue un rôle primordial pour déterminer le périmètre d’action des producteurs locaux aussi bien pour répondre aux besoins du marché local que pour l’export. En effet, l’existence ou l’absence de brevets d’invention sur les produits va déterminer ce qui est possible de produire par l’industrie nationale de ce qui ne l’est pas. Ce deuxième colloque national co-organisé par ITPC MENA et la FMIIP, était pour nous l’occasion de débattre de ce sujet en toute sérénité et responsabilité, le thème central était : « optimiser les flexibilités du système de propriété intellectuelle pour garantir une meilleure souveraineté ».

Challenge : L’importance de protéger la propriété intellectuelle est reconnue par la communauté internationale. Dans ce domaine, au Maroc, quelle importance accorde-t-on aux médicaments sachant qu’on parle plutôt de produits sensibles ?

M.E.B : Si, il y a consensus, aujourd’hui depuis la création de l’OMC (et la ratification de l’accord ADPIC) au niveau international sur la nécessité d’accorder des brevets sur le médicament (comme n’importe quel produit commercial), les négociateurs de l’OMC, conscients de l’impact des brevets sur l’accès aux médicaments ont accordé un certain nombre de flexibilités à prendre en compte pour protéger le secteur et avant tout, la santé publique. Force est de constater, que le Maroc n’a jamais eu recours à ces flexibilités ! Et d’ailleurs, voici quelques objectifs du colloque que nous avons organisé avec ITPC MENA les 15 et 16 mai : -Sensibiliser les parties prenantes à l’impact de la propriété intellectuelle sur l’accès aux médicaments.

-Discuter des enjeux actuels en matière de propriété intellectuelle et d’accès aux médicaments

-Explorer les différentes options pour renforcer le cadre légal et règlementaire en matière de propriété intellectuelle et accès aux médicaments et partage d’expériences récentes d’autres pays.

-Discuter des possibilités pour opérationnaliser les flexibilités existantes dans la législation nationale afin de protéger l’accès aux médicaments ;

-Renforcer le processus de concertation entre les parties prenantes, y compris les représentants du gouvernement, l’industrie pharmaceutique, les organisations de la société civile, et les experts en propriété intellectuelle et en santé publique.

-Échanger sur l’évolution du contexte international et des opportunités pour le Maroc pour renforcer sa souveraineté, comment protéger l’accès aux médicaments et soutenir la production et l’approvisionnement en médicaments génériques à faible coût.

Challenge : La question du prix des médicaments est devenue au cours des dernières décennies un véritable enjeu pour la majorité des pays. Comment l’industrie pharmaceutique nationale se positionne-t-elle par rapport à cette donne ?

M.E.B : Tout d’abord, j’aimerai rappeler certaines données : le prix des médicaments représente au Maroc 28% des dépenses de la santé (il y’a le médecin, les analyses, les radios….), le reste à charge est parmi les plus élevés dans le monde : plus de 52%. Ajoutons à cela, un pouvoir d’achat du marocain très faible et une faible consommation des médicaments : 560 DH par an par citoyen, alors qu’elle est d’au moins le double chez nos voisins maghrébins et atteint les 5000 DH dans les pays européens qui constituent pour la plupart des pays du Benchmark pour la fixation des prix.

L’industrie pharmaceutique nationale avec une expertise de plus de 65 ans, met à disposition des médicaments fabriqués (princeps matures et génériques) avec une qualité qui répond aux standards internationaux et à des prix accessibles (le prix moyen sortie usine ne dépasse pas 30 DH). Le Maroc a fait le choix depuis toujours de disposer d’un arsenal thérapeutique large et des dernières thérapies. Or, les médicaments importés qui sont en majorité des médicaments innovants coûtent effectivement très chers, ce qui impacte lourdement les organismes gestionnaires de l’assurance maladie, ainsi que le patient. C’est pour cette raison, qu’il faut encourager les études cliniques dans notre pays afin de favoriser l’accès rapide aux nouvelles thérapies et négocier des contrats d’accès avec les titulaires de ces médicaments et renforcer la fabrication de tout ce qui peut être fabriqué au Maroc (princeps matures, génériques, biosimilaires).

Challenge : Au-delà du prix, c’est aussi la question de la disponibilité des médicaments en quantité suffisante qui est au cœur de toutes les préoccupations, comme lors de la pandémie. Qu’en est-il au Maroc où certaines ruptures deviennent récurrentes ?

M.E.B : Conscients que l’approvisionnement en médicaments relève de la sécurité stratégique du pays, les industriels du médicament regroupés au sein de la FMIIP poursuivent l’effort consenti pour sécuriser l’accès des citoyens marocains aux protocoles thérapeutiques de Covid-19 et aux médicaments essentiels. Malgré les difficultés liées à la forte augmentation des coûts (transport-matières premières…), les producteurs nationaux, sont mobilisés à tous les niveaux, en vue de limiter tout risque de pénurie grâce à la gestion optimale des stocks de sécurité.

La FMIIP s’assure constamment pour que le marché national soit toujours approvisionné, comme cela a été le cas depuis le déclenchement de la crise pandémique, conformément à la circulaire sous le n° DMP/00/75, exhortant toutes les parties prenantes à s’engager à fournir les médicaments et produits de santé nécessaires avec un stock de sécurité règlementaire pour une période de trois mois pour les sociétés pharmaceutiques industrielles. Les ruptures de stocks de médicaments que nous constatons concernent surtout les produits importés, c’est pour cette raison qu’il faut continuer à renforcer et encourager les investissements dans la fabrication locale, seule garante de la disponibilité des médicaments et la souveraineté médicamenteuse.

Challenge : Aujourd’hui, comment faire justement pour renforcer la souveraineté sanitaire médicamenteuse du Royaume? Quel rôle pourrait jouer la FMIIP dans ce sens ?

M.E.B : La souveraineté sanitaire est une composante fondamentale et indissociable de la souveraineté économique et politique du pays. Notre industrie est appelée à jouer un rôle crucial dans la déclinaison de la vision Royale, qui consiste à mettre en œuvre un système de protection sociale au profit de tous les Marocains à horizon 2025. La FMIIP est consciente des enjeux sécuritaires majeurs liés à l’industrie pharmaceutique nationale. Véritable fer de lance de la souveraineté sanitaire du pays, elle revêt une place cruciale qui se confirme de jour en jour. Pièce maitresse dans l’échiquier diplomatique, l’industrie pharmaceutique nationale est un maillon déterminant pour protéger les citoyens marocains contre d’éventuelles pénuries ou crises sanitaires et permettre d’éviter de se retrouver tributaire de décisions se prenant à l’international à l’encontre des intérêts nationaux et à l’abri des contingences politiques, notamment en matière d’accès aux soins. La souveraineté sanitaire englobe la mise en place d’un système national de santé performant et réactif, capable de produire ses propres médicaments, dispositifs médicaux…, de contribuer au développement des activités R&D et de l’innovation, d’où l’importance de l’engagement et l’implication de tous les départements gouvernementaux.

Source : challenge.ma