« Les médicaments d’importation ne sont pas une fatalité »

résident de la Fédération marocaine de l’industrie et de l’innovation pharmaceutique (FMIIP), Mohamed El Bouhmadi aborde dans cet entretien les ambitions et les contraintes du secteur du médicament au Maroc.

Le Canard Libéré : Comment se porte l’industrie pharmaceutique nationale et quels sont ces défis dans le cadre de la généralisation de l’AMO ?

Véritable pilier de la souveraineté sanitaire du Pays, le secteur de l’industrie pharmaceutique au Maroc peut être qualifié de “Patrimoine National”. Avec un chiffre d’Affaires global annuel de plus de 17 Milliards de dirhams en 2022 représentant 1.5% du PIB National et 5.2% du secteur industriel, le secteur emploie près de 65 000 (entre emplois directs et indirects)

Des investissements massifs ont été réalisés ces dernières années, aussi bien dans les technologies innovantes que dans le renforcement de la fabrication locale des génériques, de biosimilaires, d’hormonologie…et également dans les vaccins et biotechnologies. C’est pour vous dire que l’industrie pharmaceutique marocaine demeure très dynamique pour son développement et le renforcement de la souveraineté nationale à laquelle appelle SA MAJESTE que Dieu l’assiste.

Néanmoins, les opérateurs de l’industrie pharmaceutique marocaine que nous sommes, subissons plusieurs contraintes aussi bien externes qu’internes. Ainsi, la conjonction de l’inflation des prix de l’ensemble des intrants de la production de médicaments et la pression contreproductive exercée sur les petits prix des médicaments fabriqués localement entrainent l’érosion des marges de ces produits qui finissent par disparaitre du marché marocain. Ces derniers sont automatiquement remplacés par des médicaments souvent importés et nettement plus couteux au détriment de l’intérêt des patients et des caisses gestionnaires de l’assurance maladie, de la valeur ajoutée locale.

Par ailleurs certains retards d’enregistrement ou de mise à jour de certains dossiers des médicaments, pénalisent aussi bien les établissements industriels que les patients, particulièrement lorsqu’il s’agit de l’enregistrement du premier médicament générique ou biosimilaire. En effet, l’introduction de ces médicaments sur le marché national constitue le meilleur moyen pour permettre l’accès aux soins de la plus large frange de la population notamment face aux traitements de dernière génération dont les coûts sont prohibitifs.

En tant que président de la FMIIP, pourriez-vous nous parler des grands combats que vous menez pour le développement de l’industrie pharmaceutique nationale et sa compétitivité ?

Pièce maitresse dans l’échiquier diplomatique, l’industrie pharmaceutique nationale est un maillon déterminant et stratégique pour protéger les citoyens marocains contre d’éventuelles pénuries ou crises sanitaires et permettre d’éviter de se retrouver tributaire de décisions se prenant à l’international à l’encontre des intérêts nationaux et à l’abri des contingences politiques, notamment en matière d’accès aux soins.

Notre souci actuellement est de participer activement à la concrétisation de la vision éclairée de Sa majesté le Roi, que Dieu l’assiste, qui concerne la généralisation de la couverture sanitaire universelle CSU au profit de l’ensemble de la population marocaine et en mettant en avant le principe d’équité, cher à notre souverain, de renforcer la souveraineté nationale en matière d’approvisionnement en médicaments et produits de santé.

La crise sanitaire, que nous venons de vivre, a confirmé, si besoin était, la clairvoyance de la vision royale et le rôle stratégique de notre industrie pharmaceutique

Pour se faire, plusieurs de nos membres se sont engagés dans des investissements lourds, nécessaires pour faire évoluer leur outil industriel et parvenir à mettre sur le marché des versions abordables, des génériques et biosimilaires des traitements les plus onéreux adaptés au contexte épidémiologique marocain, avec éfficacité, qualité et sécurité aux standards internationaux.

Par ailleurs, dans le cadre de la coopération Sud-Sud nous sommes portés à développer non seulement les exportations de médicaments fabriqués au Maroc vers les pays frères de notre continent, mais également à la réalisation d’investissements productifs et de partage de savoir-faire avec ces pays.

En général, les malades au Maroc se plaignent de la cherté des médicaments surtout prescrits pour les maladies chroniques comme le cancer. Quels sont les leviers à actionner pour rendre ces médicaments plus abordables pour le commun des patients ?

Je vous rappelle certaines données : le coût des dépenses des médicaments au Maroc représente 28% des dépenses de la santé (il y’a d’autres dépenses notamment les consultations médicales, les examens radiologiques, les analyses biologiques et anatomo-pathologiques …), le reste à charge est parmi les plus élevés dans le monde: plus de 52%.

Rajoutons à cela un pouvoir d’achat du marocain faible et une consommation basse des médicaments : 560 DHS par an par habitant en 2022, alors qu’elle est d’au moins le double chez nos voisins magrébins et atteint les 5000 – 8000 dhs dans les pays européens qui constituent pour la plupart des pays du Benchmark dans le décret de fixation des prix (18 décembre 2013).

L’industrie pharmaceutique nationale, avec une expertise de plus de 65 ans, met à disposition des médicaments fabriqués localement, princeps matures et génériques, de qualité à des prix accessibles : (le prix moyen sortie usine ne dépasse pas 30 DHS). Le Maroc a fait le choix depuis toujours de disposer d’un arsenal thérapeutique large et des dernières thérapies. Or les médicaments importés qui sont en majorité des médicaments innovants coûtent effectivement très chers, ce qui impacte lourdement les organismes gestionnaires de l’assurance maladie ainsi que le patient. C’est pour cette raison qu’il faudrait encourager les études cliniques dans notre pays afin de favoriser l’accès rapide aux nouvelles thérapies et négocier des contrats d’accès avec les titulaires de ces médicaments. Enfin favoriser la fabrication locale, garante de la souveraineté de notre pays et l’introduction des génériques dès que possible.

Les patients sont également confrontés à un autre problème récurrent et non des moindres, la pénurie de nombreux médicaments dans les pharmacies d’officine.

Comment expliquez-vous souvent ce phénomène qui touche le droit de se soigner et quelles solutions pour le résoudre?

Vous touchez ici à un réel problème de santé publique, et qui n’est pas que national mais impacte le monde entier. Les ruptures de stock de médicaments peuvent avoir des causes très divers.

Les principales causes peuvent être d’origine économique, structurelle ou liés à la disponibilité et approvisionnement des matières premières et articles de conditionnements :

La cause structurelle, résulte de l’érosion de la marge des médicaments dits à bas prix.  Leur disparition est inéluctable en raison de l’augmentation des coûts de revient de ces produits (Principe actif, excipients, article de conditionnement, énergie, transport… ). De ce fait l’exploitation devient déficitaire. Faute d’avoir une autorisation d’augmenter le prix de vente de ces produits, les laboratoires se trouvent contraints de demander au ministère de tutelle l’arrêt de commercialisation de ces produits.

La deuxième cause, conjoncturelle, est celle lié à la désorganisation des circuits d’approvisionnement occasionnée par la pandémie de COVID et dont les conséquences ont été mondiales. Le démarrage post-COVID 19 a créé une telle tension sur les fournisseurs des matières premières qui perturbe toute la chaine de valeur de toutes les industries et plus particulièrement de l’industrie pharmaceutique.

A noter que la plupart des laboratoires marocains ont préféré surstocker des matières premières au prix fort et au détriment de leur marge plutôt que de ne pas approvisionner le marché et permettre ainsi aux patients marocains de poursuivre leurs traitements. Pour information la plus parts des pays européens, notamment  la France, ont connu des pénuries pendant des mois des produits de base comme le paracétamol et de l’amoxicilline alors que le Maroc n’a jamais enregistré de rupture de stock sur la majorité des médicaments

Les médicaments d’importation sont-ils encore prépondérants dans l’écosystème pharmaceutique national et comment sortir de la dépendance aux chaînes d’approvisionnement mondiales en Inde et Chine?

Alors que dans les années 80 et 90 la fabrication locale était largement prédominante parmi les médicaments commercialisés et consommés au Maroc, de l’ordre de 75 à 80%, on assiste à une perte continue de la part de la fabrication locale qui aujourd’hui selon les derniers chiffres, représente à peine 52 % de la consommation en valeur.

Pour inverser la tendance, et retrouver les taux de couverture de la consommation de médicaments dans notre pays par la fabrication locale, que nous avons connus auparavant, il faudrait un soutien volontariste des autorités publics pour accompagner cette industrie locale, avec des circuits Fast Track pour l’enregistrement et l’obtention des prix des médicaments fabriqués localement, et également en implémentant la préférence nationale des médicaments fabriqués localement dans les appels d’offres publics

En ce qui concerne la production de matières premières actives, elle est aujourd’hui majoritairement localisée en Chine et en Inde pour deux raisons fondamentales qui sont l’économie d’échelle, et l’existence d’une législation environnementale permissive.

Nous avons l’occasion dans le cadre d’accord de « nearshoring » avec certains pays européens, d’initier une industrie de production de matières premières pharmaceutiques actives et ce dans un cadre respectueux de l’environnement.